L'entretien qui aurait pu tout changer [PV Vestara Weiss]

Le reportage devenait ennuyant. C’était simple, même la grande patience dont pouvait faire preuve Talya était en train de s’étioler tandis qu’elle attendait là, dans l’antichambre menant au bureau de la présidente de l’Alliance Galactique. Elle avait essayé de tuer le temps en regardant des holo-magazines et un reportage sur l’Holonet, mais désormais c’était inutile. Elle en avait marre d’attendre. Mais elle était obligée de garder son calme, sous peine de rendre nerveux les deux gardes se trouvant derrière la porte menant à la section du Sénat où elle se trouvait. Lesquels se trouvaient derrière la porte à côté d’elle.

De l’autre côté se trouvait la porte – fermée – menant au bureau de Vestara Weiss. Pour ainsi dire, la Sith ne connaissait pas du tout la véritable raison de sa présence ici. Elle avait reçu, deux jours auparavant, une invitation à venir ici, la chef de l’AG désirant s’entretenir avec elle. Consciente qu’il ne s’agirait pas de faire amie-amie, Talya avait emporté son datapad avec elle, au cas où. Une certaine fébrilité s’était emparée d’elle sur l’instant, qui retomba néanmoins très rapidement. Elle détenait certes une occasion inespérée de pouvoir éliminer Vestara Weiss, mais cela n’apporterait rien : elle finirait en prison de haute sécurité sans la moindre possibilité de s’échapper. Son plan ne pourrait jamais être mis en place, et il restait une ombre supplémentaire au tableau : son apprentie se retrouverait seule.

Il y avait des avantages à être conviée par la présidente : elle allait pouvoir faire un vrai repérage, sans avoir à se cacher car elle verrait d’elle-même le dispositif ; elle allait également pouvoir approcher la présidente et glaner de précieuses informations sur sa personne. Un atout de valeur, si l’occasion se présentait un jour d’avoir à la manipuler ou à obtenir quelque chose d’elle. Même si le plan ne prévoyait pas une issue très favorable à sa situation d’avocate, on ne savait jamais ce que l’avenir nous réservait. En une phrase, ou même un mot, tout pouvait passer du succès total à l’échec le plus impardonnable.

Mais toutes ces ruminations n’apportaient rien à la Sith, qui reposa le datapad avec une moue maussade. Elle sortit le sien, regarda si elle avait des messages ou autre, puis le remit à sa ceinture. Elle avait laissé son sabre laser chez elle, comme souvent. L’apporter aurait été stupide, car elle n’aurait pas forcément su le cacher, habillée comme elle l’était. Et la vue d’un sabre laser à sa ceinture n’aurait pas manqué de soulever des questions gênantes. Autant éviter. Encore une fois, dommage, elle ne pourrait pas détruire la tête pensante de l’AG aujourd’hui. Il allait falloir jouer les avocates serviles. Foutue boulot.

Enfin – et alors qu’elle s’apprêtait à se lever – on vint lui ouvrir. Elle se leva donc – normal – et suivit d’un pas vif l’assistante qui la mena vers le bureau de la présidente. La pièce était bien plus grande que l’antichambre, voir même que tout l’appartement de Talya. Un tel goût du luxe et de l’opulence ne manquait de donner un peu la nausée à la Sith, qui avait l’habitude de l’austérité, ou à défaut de vivre dans une grotte, de peu. Son appartement et son mode de vie en étaient la preuve : elle avait de l’argent mais répugnait à s’en servir par excès. Elle n’était cependant pas là pour donner un avis artistique, et se contenta donc d’un coup d’œil circulaire mais scrutateur avant de fixer son regard sur celui de la présidente.

« Bonjour, madame la Présidente. Merci de votre invitation » déclara simplement la Sith en tendant une main blafârde.

Une poignée de main qui transpirait – dans la Force – la nervosité. Cet instant passa rapidement, car l’avocate reprit vite le contrôle d’elle-même. Elle venait de serrer la main d’une personne qu’elle pouvait tuer d’un geste. Reste zen. Tu dois rester patiente. Te trahir n’apportera rien. Un masque de politesse n’avait pas quitté son visage lorsqu’elle s’assit sur un fauteuil confortable.

« Puis-je connaitre la raison de ma présence ici, madame ? Votre invitation restait évasive à propos d’une ‘aide juridique’ que je pourrais vous apporter. »

Le ton était tout aussi poli. Le corps détendu, et le visage ne souffrant aucune trahison de sa nervosité. Sa présence dans la Force toujours aussi réduite. Tout allait bien se passer, non ?

Talya accepta une tasse de caf sans mot dire, puis attendit poliment que son hôte boit la première pour le faire à son tour. Il lui fallait jouer le rôle jusqu’au bout, sans se trahir. Elle en était capable, et le ferait donc.

Elle écouta Vestara Weiss. Elle l’écouta oui, s’efforçant d’enregistrer chaque détail : les mots employés, dans quel ordre, les sous-entendus, ce qui était envoyé franchement et ce qui était caché et qu’elle ne pouvait que supposer. Elle l’écouta tant et si bien qu’elle aurait presque pu se laisser convaincre de se mettre immédiatement au travail, si elle n’avait pas été Sith mais une femme ordinaire devenue avocate. La Sith aimait son métier – plus qu’elle ne l’admettait – mais elle n’allait pas pour autant faire preuve d’un zèle suspect. Si elle se dévoilait comme farouchement opposée aux Jedi, elle s’orientait sur une pente glissante. De nature, elle avait appris à haïr les utilisateurs du Côté Lumineux de la Force. L’Académie lui avait encore renforcé ce sentiment. L’expérience de ses cinquante années de vie avaient un peu tari cette haine, pour la transformer en une simple rivalité teintée de respect. Elle n’aimait pas les Jedi, elle n’aimait pas leur façon de voir les choses. Mais elle respectait leurs capacités.

Alors, sachant cela, que faire ? Que répondre ? Peut-être qu’abonder dans le sens de la Présidente pouvait l’aider à mettre son plan à exécution. Après tout, quelques menues mesures pouvaient permettre de tenir les Jedi à l’écart des affaires de l’AG, bien que ce soit théoriquement déjà le cas. Mais elle pouvait tout aussi bien jouer la femme anti-Jedi que la femme pro-Jedi qui essaierait de tenir la Présidente en laisse. Qui tenterait de la manipuler plutôt que de véritablement travailler avec elle. Mais manipuler une telle personne n’était pas aisé, et elle ne se sentait pas capable d’avoir cette responsabilité. Elle n’en aurait tout simplement pas le temps.

« Je vois. » déclara-t-elle tout simplement.

Une manière simple de gagner du temps. Avec de la chance, Vestara comprendrait par son silence qu’elle réfléchissait à la meilleure façon de l’aider, et ne l’interromprait pas tandis qu’en réalité elle songeait à si ou non elle devait l’aider. Encore une fois, la patience de peser le pour et le contre était une valeur qu’elle chérissait. Un Sith patient était redoutable, lui avait dit son Maitre. Mais il était vrai qu’aider la Présidente pouvait avoir un bon impact : elle serait bien vue par l’administration de l’AG.

Elle but une gorgée de caf puis croisa les mains sur la table. Elle fixa son regard dans celui de son interlocutrice.

« Premièrement, je vous suggère une approche posée, et non agressive. Les Jedi ne font plus parti de l’Alliance Galactique, ils sont à part depuis bien longtemps désormais. Ils constituent l’une des trois ‘’puissances’’ de la Fédération, et il faut donc compter avec. Si ma mémoire est bonne, ils possèdent une ambassade sur Coruscant, non ? C’est par-là qu’il faut commencer. Vous voulez diminuer leur influence sur les gens car malgré tout leur mysticisme est connu ? Organisez des reportages. Demandez à ce que des journalistes qualifiés puissent observer la vie d’un Jedi, dans le but de mieux comprendre la mission de l’Ordre dans la galaxie. Il faut d’abord, pour que les gens se méfient, qu’ils sachent à qui ils ont affaire. Manipuler les informations obtenues, chaque gouvernement sait le faire, mais manipuler la réalité est bien différent. Que les Jedi aient confiance. Ensuite, vous pourrez faire passer des lois et d’autres éléments susceptibles de leur nuire. C’est là que le deuxièmement : aucune loi, aucun arrêté ne devra être directement anti-Jedi. La nuisance devra être subtile, elle devra être si invisible qu’un avocat ne saurait trouver une véritable parade. Et si un évènement se produit, mettant en cause les responsabilités des Jedi qui auront affirmé dans vos reportages de protéger la galaxie et ses habitants, là vous obtiendrez de quoi manipuler la réalité. De quoi retourner l’opinion publique – mais sans violence – contre eux. Alors, et seulement là, leur influence diminuera. Ne commettez pas les erreurs de Natasi Daala en son temps, madame. La haine ne vous aidera pas, seulement la méfiance. »

La Présidente était-elle consciente de ce qu'elle lui demandait ? Elle l'avait fait venir pour discuter de la place des Jedi dans la Fédération, et pour savoir quelles mesures seraient envisageables pour les en écarter ou au moins limiter leur influence. Du point de vue de Talya, c'était légèrement incohérent. Si en plus de la l'opinion sur eux devait rester positive, alors là ça devenait impossible à réaliser pour quelqu'un comme elle. Et cette façon de qualifier de religion l'Ordre Sith... la colère monta soudainement en elle, manquant de la submerger.

Elle évite de laisser cette fureur la dominer. Elle devait rester maîtresse d'elle si elle voulait parvenir à maintenir son masque d'avocate. Comment lui dire dire que c'était impossible, alors ? L'Ordre Jedi avait participé à la création de la Fédération, ils en étaient un des piliers avec l'AG et l'Empire. Et jusqu'à preuve du contraire, ces deux derniers étaient alliés, et par conséquent à deux voix contre une, il était plus simple de rabaisser le rôle des Jedi. Elle but une gorgée de caf, avant de prendre finalement la parole.

 « Je crains que ce que vous ne souhaitiez, madame, soit légèrement... hors de ma portée ? Faute d'une meilleure façon de le dire, j'en suis navrée, mais vous demandez quelque chose d'incroyablement difficile, voir impossible. Les Jedi ont aidé à créer ce Triumvirat, les en éjecter reviendrait à détruire ce principe. Même chose si vous souhaitez uniquement affaiblir leur position : les Jedi ne resteront pas longtemps vos alliés s'ils doivent pour cela courber l'échine à chaque décision de l'Ag ou de l'Empire. Et ne pas avoir les Jedi pour alliés serait dangereux, madame. »

Elle se plongea dans un autre silence, espérant ne pas avoir été trop loin dans ses déclarations. Elle était restée honnête, car même en tant que Sith elle comprenait parfaitement le rôle important des Jedi dans la Fédération. Plus qu'une troisième voix, c'était également une sorte de balance du pouvoir entre l'AG et l'Empire, qui étaient à la fois alliés et rivaux. Et elle, Talya, n'avait aucun moyen de trouver comment faire cela sans que ce soit illégal. Car à moins de faire sauter l'ensemble de l'Ordre avec une bombe bien placée, ce dont elle doutait être capable, il n'y avait pas grand chose à faire.

Une idée émergea alors.

 « Néanmoins, une solution... alternative, existe. Enfin, ce ne serait pas à proprement parler une solution, mais c'est quelque chose qui vous permettrait de prendre au-moins le dessus sur les Jedi. Je parle bien sur de l'Empire, madame la Présidente. Ce sont vos alliés, et par conséquent vous devriez être en mesure, si l'Empereur ou ses sujets partagent votre point de vue, de réduire l'influence des Jedi. J'entends par-là qu'à deux voix contre une, même celle des Jedi, il est plus facile d'aboutir aux accords ou décisions que vous aimeriez avoir. Le problème reste que les Jedi sont dans le Triumvirat, même en devant faire avec deux voix qui s'acharnent à voter en leur défaveur. »

Que penserait-elle d'une telle idée ? Si elle ne l'acceptait pas, alors il n'y avait définitivement plus rien à faire pour l'aider.

Talya n'était pas certaine d'avoir des talents pour la politique, loin de là. Contrairement à ce que sous-entendait la Présidente, elle n'aimait pas vraiment s'en mêler, même si c'était parfois nécessaire dans sa profession. En tant qu'avocate, elle avait évidemment des talents d'oratrice et était capable de réfléchir à la situation afin d'en tirer le meilleur parti, et ce sous tous les angles possibles, mais ce n'était pour autant pas une chose aisée que de devoir supporter le caractère de Vestara Weiss.

Bien sur, elle n'avait pas vraiment l'envie de lui exprimer son sentiment pour l'instant. Cela aurait été mal avisé, sachant qu'elle tenait quand même un minimum à son travail. C'était bien là le problème avec des personnes comme la Présidente : pour une faute trop grave, on pouvait se retrouver au chômage sur un simple appel. Alors que faire maintenant ? Prendre congé ? Cela lui paraissait la chose à faire, n'ayant rien à ajouter si ce n'était un refus de participer à cette mascarade politique. La Sith détestait les faux-semblants, bien qu'elle soit obligée d'en vivre un pour sa propre sécurité et celle de son apprentie.

Elle opta finalement pour une réponse mesurée et qui n'avait – normalement – rien d'offensant.

 « Je vous remercie de ce compliment, madame, mais je suis obligée de refuser. A la vérité, vous surestimez mes capacités en tant qu'avocate. Je sais comment défendre quelqu'un, comment en accuser un autre, mais je me vois mal jouer dans la case politique galactique. Après tout, je ne suis pas là pour ça. Je suis venue afin de vous apporter, à votre demande, mon aide pour tenter de trouver une solution, et il semblerait que finalement, je suis parvenue à vous donner une idée. De cela, j'en suis contente. Mais je ne saurais pas vous être utile pour ce qui concerne la suite de ce... projet, faute d'un meilleur terme. Vous m'en voyez désolée, madame. »

La Sith termina sa tasse de caf, se leva et tendit sa main pour serrer celle de la Présidente. Elle partit donc en direction de la sortie, quand une soudaine envie la prit. Pourquoi résister à une petite provocation, sachant qu'elle était une Dame Sith, et qu'elle ne risquait rien ici, même sans son sabre laser. Elle se retourna donc, jetant un dernier regard à Vestara Weiss.

 « Vous connaissez les Jedi, madame, vous connaissez donc certainement les Sith également. Méfiez-vous, vos actions contre les Jedi pourraient leur profiter. Ils ne sont jamais bien loin, comme le démontra la dernière guerre. »

Et elle sortit de la pièce, un léger sourire aux lèvres. La probabilité que la Présidente comprenne qu'elle, Talya, soit une Sith... eh bien elle était infime. Après tout, personne n'irait soupçonner une avocate coruscanti d'être une personne aussi dangereuse. Qui de surcroît aurait raté une occasion en or de tuer la Présidente de l'AG.


FIN