Rappel des fondamentaux [ Darth Reylos ]

Nar Shaddaa était en pleine panique. Le blocus Yuuzhan Vong établi depuis quelques semaines n'avait pas porté ses fruits : la puissante Lune disposait de trop de réserves souterraines, et la débrouillardise y était une qualité traditionnelle. Le marché noir n'était pas l'économie parallèle sur cet astre : il était l'économie. Toutes les formes d'échange et de trafics y étaient pratiquées, connues, perfectionnées depuis des millénaires. A l'abri des tours, des bas quartiers, ou même profondément sous la terre, les denrées entreposées étaient trop nombreuses pour que les envahisseurs eussent pu penser la contraindre à la reddition par la famine. Il devint évident assez vite que le monde devrait être pris de force.

Intoxication, guerre psychologique n'y avaient rien fait : la Lune des Contrebandiers se révélait plus coriace et courageuse qu'on aurait pu le croire. Sa résistance surprenait toute la Galaxie, y compris les Yuuzhan Vong eux-mêmes, qui, bien renseignés, avaient vu dans cette métropole planétaire un verrou d'accès au contrôle du Secteur qui devrait sauter sans problème, du fait de la corruption qui y régnait. Mais cette fois-ci, leurs calculs s'étaient révélés faux. Il fallait attaquer, et, après avoir pris le temps de planifier soigneusement leur invasion, à la fin du troisième mois, ils donnèrent l'assaut.

Les quelques défenses orbitales avaient vite été débordées, et les équipes rapatriées, lorsqu'elles avaient eu de la chance, à la surface de la Lune. Il n'y avait pas d'espoir de mener une lutte désespérée qui permettrait de retarder les Vongs jusqu'à l'arrivée d'éventuels renforts : personne ne viendrait à leur rescousse. Les flottes de la République n'étaient pas de taille à tenter cette percée, et quand bien même, les risques auraient été trop grands : le territoire envahi était conséquent, et sauver Nar Shaddaa aurait supposé d'en faire une tête de point bien fragile. Cela aurait abouti à disperser les forces de la Nouvelle République, pour un gain dérisoire, puisqu'il aurait abouti à une extension de la ligne de front avec de bien maigres troupes, et à la nécessité d'établir des voies de communication et de ravitaillement entre les territoires encore libres et le système d'Y-Toub.

C'était un trop grand risque à courir. Aussi la Lune des Contrebandiers fut-elle laissée à son sort funeste. Les premières frappes orbitales se firent au petit matin, après plusieurs dizaines d'heures passées dans l'appréhension d'une attaque surprise foudroyante. Les torpilles, lasers et bombes plurent dru sur les milliers d'immeubles de la Petite Coruscant, calamité dantesque laminant méthodiquement chaque secteur de la Lune. Les Vong avaient le temps pour eux. Ils avaient décidé de frapper fort, non pas seulement matériellement, mais psychologiquement : il fallait faire un exemple. Nar Shaddaa était un symbole pour la Galaxie. Il était question de sémantique : c'était aussi, et peut-être même, avant tout, une guerre des signes. La Lune des Contrebandiers deviendrait une planète fantôme, un monde mort.

Il s'agissait, après les premières salves, de faire durer le plaisir, en ponctuant le bombardement d'accalmies d'une demi-heure, parfois d'une heure, voire même d'une demi journée. On appliquait une méthode de torture psychologique à l'échelle d'un monde entier. Le commandement Vong savait parfaitement que la Lune était coupée de l'holonet, et donc de tout contact extérieur. Il avait expédié des agents permettant d'opérer une intoxication à grande échelle : faisant miroiter l'espoir d'une attaque de secours républicaine venant les prendre à revers, puis de négociations devant permettre la fin des hostilités, et même, avec quel culot, celui d'une massive intervention Jedi, il réduisait touts ces espoirs à rien par des frappes brutales, massives. Puis, après quelque minutes, nouvelle temporisation, et ainsi de suite. Les extragalactiques espéraient ainsi précipiter la capitulation de la Lune. Cette succession perverse de destructions et de manœuvres de déstabilisation n'eut pas le résultat escompté, du moins pas avant plusieurs semaines...et entre-temps, ils purent ravager la quasi totalité de l'astre, causant des dizaines de milliards de victimes.

Hahanant, essouflé, meutri par un douloureux point de côté, Vhym A'Roa stoppa net devant la plate-forme où se pressait une foule immense. Regardant derrière lui, il eut un temps l'espoir de pouvoir retourner sur ses pas, mais peine perdue. Alors qu'il commençait quelques pas en arrière, un bruit assourdissant vint lui vriller les tympans, tandis qu'une ombre massive s'abattait sur le secteur. Levant les yeux, il aperçut une formation de bombardiers Vongs lâcher quelques torpilles en direction des quartiers qu'il comptait inspecter rapidement. Aveuglé par les détonations, il sentir sans le voir l'écroulement des gratte-ciels, et eut la présence d'esprit d'abaisser la capuche de sa bure, et de se couvrir le visage, anticipant le nuage de poussière qui fondrait sur sa position à toute vitesse.

Il attendit, le dos tourné au lieu de l'explosion, durant quelques minutes, puis, se risquant à entrouvrir les yeux, il vit se redresser les dizaines de malheureux qui s'étaient mis à terre, couverts de poussière. S'époussetant lui-même, il se retourna à nouveau. Les débris de la frappe Vong empêchaient tout passage. Plein d'appréhension, le coeur battant la chamade, il tenta de rentrer en communication télépathique avec son apprentie Nimila. Peine perdue. Il y avait trop d'agitation, trop de peur, de dégoût, de haine, de violence et d'angoisse dans l'air.

Pendant que la foule se pressait pour accéder aux transporteurs, débordant peu à peu les quelques malheureux gardes républicains chargés de filtrer leur passage, il resta en arrière, ébahi, sonné, meurtri. Qu'était-elle devenue ? Elle était si jeune, et si petite qu'elle pouvait passer facilement inaperçu, et était, de plus, capable d'échapper même, la Force seule savait comment, à sa propre surveillance. Il lui était déjà arrivé de la perdre de vue...mais les circonstances faisaient que cette fois-ci, il ne faisait pas confiance au sort pour leur permettre de se rejoindre. Il refusait de se résigner. Une autre frappe les avait séparés une demi-heure plus tôt alors qu'ils faisaient route vers le spatioport. Ils s'étaient perdus depuis. Trop d'interférences pour lui permettre de retrouver la présence dans la Force de la jeune fille, tout Chevalier Jedi qu'il était.

Sans qu'il s'en rendit compte de prime abord, un bras en armure vint le saisir, et, tout à son anxieuse méditation, il se laissa conduire jusqu'au transporteur. On avait reconnu en lui un membre de l'Ordre, et la priorité lui avait été accordée, malgré les protestations furieuses des pauvres réfugiés et sans-abri tentèrent de le dégager des bras des gardes. C'est lorsqu'un d'eux parvint à lui décocher un coin de poing derrière le crâne qu'il se réveilla. Furieux, il tenta de riposter, mais fut promptement séparé de son agresseur, et conduit de force au vaisseau, qui s'apprêtait à partir. Ce n'est qu'alors qu'il réalisa qu'on l'emmenait.

-Mais que faites-vous ?
-Evacuation, monsieur.
-Comment ça ?
-Une brèche s'est crée dans le dispositif Vong durant leur attaque. Plusieurs centaines de vaisseaux contrebandiers vont tenter de l'exploiter pour évacuer le plus de monde possible. Vous avez beaucoup de chance.
-Ecoutez, je veux céder ma place, j'attends quelqu'un !
-Négatif, monsieur. Préparez vous à partir.
-Hors de question ! Elle doit me rejoindre ! On a été séparés il y a un instant, elle va arriver d'une minute à l'autre !
-Signalement ? Identité ?
-C'est...c'est ma fille. Une dizaine d'années, humaine. S'il vous plaît, laissez-moi-
-Ne discutez pas !

Haussant le ton, le soldat se rapprocha du Jedi, et lui pressa vigoureusement l'épaule.

-Ecoutez, Jedi, la République a besoin de gens comme vous pour continuer à combattre. Tous ceux qui ne partiront pas maintenant mourront sûrement, si ils ont de la chance. Vous êtes un Chevalier, un combattant, et vous n'avez pas le droit de vous sacrifier maintenant. Allez, entrez !

Il encouragea l'Anzat à pénétrer dans l'engin en accentuant sa poussée. La résistance du Jedi obligea ses camarades à l'intérieur à le saisir à quatre pour l'obliger à prendre place à bord, et avant qu'il n'ait pu se rebiffer, le véhicule décollait. On l'installa de force sur un siège, tandis qu'il vociférait de rage et de frustration. Larmes aux yeux, il tourna la tête vers la gauche, et regarda à travers le hublot la surface de Nar Shaddaa s'éloigner de lui à toute vitesse. Il était trop tard. Tout était perdu. Nimila était sûrement morte...du moins l'espérait-il, pour elle. Et être obligé, par les circonstances, d'émettre ce souhait en silence lui brisait le coeur. Il se sentait comme mort. Et la Lune brûlait.

An 190 après Yavin...

-Mon Seigneur, nous arrivons.

Il sortir de sa profonde méditation, qui l'avait amené aux portes du sommeil. Relevant lentement ses paupières, il fixa un temps le Dévaronien, puis le congédia.

-Bien, Rhan, merci. Avertis le Seigneur Reylos, je te rejoins dans une minute au cockpit.

Tandis que l'ingénieur et pilote s'éloignait vers le canal de communication, pour contacter le Zabrak qui les accompagnait dans leur voyage, le Sith se leva au bout d'un temps, puis risqua un regard vers la baie vitrée du vaisseau. La lointaine et familière silhouette se profilait. Poussant un soupir, il se dirigea vers les commandes du Purple Dart. C'était la première fois qu'il revenait sur Nar Shaddaa elle-même, depuis l'an 26. Et devoir fouler à nouveau sa surface ne le réjouissait certainement pas. Mais il n'avait pas le choix.